Vers le suicide assisté dans les prisons suisses : autodétermination ou désespoir ?

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 2 min.

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Le Suisse Peter Vogt, condamné à la prison à perpétuité pour de multiples agressions sexuelles, a fait appel en juillet 2018 à Exit, une organisation d'aide au suicide. Interné depuis 25 ans, il souffre de graves troubles psychiques en sus de problèmes au coeur et aux reins. Or, ces maux ne constituent manifestement pas le mobile principal de sa demande de suicide, mais bien le désespoir de rester emprisonné dans de telles circonstances : "C'est naturel de préférer se suicider plutôt que d'être enterré vivant pour les années à venir", a-t-il lancé à l'AFP.

C'est la première fois en Suisse que la question du suicide assisté se pose pour un prisonnier. La loi helvétique se résume à interdire l'assistance au suicide qui serait poussée par un mobile égoïste. Pour le reste, l'Académie suisse des sciences médicales a établi des directives extrêmement larges selon lesquelles "l'assistance au suicide d'un patient capable de discernement est acceptable, lorsque les symptômes d'une maladie et/ou des limitations fonctionnelles lui causent une souffrance insupportable et que les autres options ont échoué ou ont été jugées inacceptables par le patient." Concrètement, le suicide assisté est pris en charge par deux associations, Exit A.D.M.D. et Dignitas, qui ont chacune ajouté leurs propres conditions, plus ou moins strictes.

La question soulevée par Peter Vogt a mené la Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP), le 6 février dernier, à un accord de principe sur l'extension du suicide assisté aux prisonniers. Cette Conférence a chargé le Centre suisse de compétences en matière d'exécution des peines d'établir des proposition quant aux modalités du suicide assisté en prison, à partir des positions de cantons qui doivent se prononcer en novembre 2020.

A noter que le Centre de compétences en matière d'exécution des peines s'est lui-même prononcé en octobre 2019 sur le cas de Peter Vogt, disant qu'un prisonnier devrait avoir accès au suicide assisté moyennant l'avis de deux médecins qui constatent "une maladie physique ou psychique entraînant des souffrances insupportables". L'argument phare de Barbara Rhoner, auteur principal du rapport, est que le suicide assisté constitue un droit offert à tous «en raison du droit à l'autodétermination des individus». Un fondement qui n'a pas manqué d'étonner le philosophe français, Damien Le Guay : "Comment peut-on dire, sans tenir compte de la situation, qu'un prisonnier a le droit de se déterminer et qu'il doit pouvoir exercer la pleine et entière liberté de son corps et de sa vie? Par principe, un prisonnier à une liberté entravée, des droits limités. "

Mais par-delà la question de l'autodétermination, quel message envoie une société qui avalise le suicide de prisonniers ? N'est-ce pas en quelque sorte réintroduire une peine de mort, cette fois-ci auto-infligée ? Où placer la limite entre la souffrance psychique du prisonnier lié à une maladie psychologique, et celle issue de sa condition-même d'enfermement? Car il se peut qu'en dehors de la prison, la personne malade n'aurait pas même pensé au suicide. En tous les cas, on constate un décalage entre l'argument d'autonomie (choisir la mort) brandi par les autorités pénitentiaires suisses, et le ressenti profond du prisonnier: celui-ci se plaint de la détérioration de sa qualité de vie, du fait de ne plus pouvoir être aux côtés de sa mère gravement malade, du désespoir d'être enfermé à vie. On est bien loin d'une "volonté autonome" de mourir...

Le cas de Peter Vogt n'est pas sans rappeler celui des 21 prisonniers belges qui, entre 2011 et 2017, ont demandé l'euthanasie en raison de souffrances psychiques (Voir Bulletin IEB). A la question de savoir si ces demandes étaient le signe d'une lacune dans la loi sur l'euthanasie, la criminologue Caroline Devynck (VUB) répondait : « La lacune se trouve dans toute la société parce que le soin et la thérapie pour ceux qui souffrent psychiquement ne sont pas accessibles pour tout le monde. »