Première greffe d’un coeur de porc chez l’humain : état des lieux et regard éthique

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Recherche biomédicale / Recherche médicale Actualités Temps de lecture : 3 min.

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Pour la première fois au monde, un patient a été greffé d'un coeur de porc génétiquement modifié. Opéré le 7 janvier dernier au Centre Médical de l'Université de Maryland (Baltimore, États-Unis), David Bennett se remet petit à petit de son opération. Son nouveau coeur bat correctement et semble pour le moment ne pas faire l'objet d'un rejet par le système immunitaire du patient.

 

La xénotransplantation (transplantation d'organe d'une espèce à une autre) se présentait comme la seule option possible pour sauver la vie de David, qui souffrait d'arythmie cardiaque. Peu enclin à suivre les recommandations des médecins, ce patient n'aurait pas survécu à une greffe de coeur humain, qui requiert une discipline de santé sévère pour éviter tout rejet. L'expérience n'a pas fait l'objet d'un essai clinique autorisé, mais l'équipe médicale a obtenu en urgence l'autorisation de la Food and Drug Administration des États-Unis pour réaliser la transplantation, étant donné l'état critique du patient.

 

Un coeur de porc génétiquement modifié

 

Au moyen de la technique CRISPR-Cas9 (voir le Dossier de l'IEB sur cette technique), dix gènes du porc ont subi une modification génétique avant la transplantation : quatre d'entre eux furent inactivés, dont un pour limiter la croissance du coeur et 3 pour éviter une réaction de rejet chez l'homme, et six gènes humains ont été insérés dans le génome du porc pour faciliter la compatibilité entre l'organe et le corps du receveur. Il n'est donc pas question ici de chimère, au sens du développement d'un organe humain à l'intérieur d'un animal.

 

Le porc en question, âgé d'un an, provenait d'une entreprise située en Virginie : Revivicor. C'est à ce jour la seule entreprise à élever des porcs de qualité clinique, dans un établissement de type médical. Le processus s'avère d'ailleurs très coûteuxRevivicor espère à plus long terme pouvoir offrir des centaines d'organes porcins par an. De nombreuses autres entreprises élèvent des porcs génétiquement modifiés en vue de la xénotransplantation, mais sans établissement de type médical. Cette industrie relève d'un marché en pleine expansion

 

Questions éthiques autour de la xénotransplantation

 

Les expériences de xénotransplantation existent depuis près de 60 ans et il est certainement trop tôt pour qualifier celle-ci de succès. 

Un premier point d'attention concerne la prise de risque, pour la santé du receveur mais aussi du reste de la population, avec ce genre de transplantation. Le Dr Syd Johnson, bioéthicienne à l'Upstate Medical University de New York, explique qu'on a freiné les essais impliquant des organes de primates en raison des risques graves de transmission de virus d'une espèce à l'autre. Ce risque existe aussi avec les porcs, et doit être pris au sérieux à l'heure où le monde est frappé par une pandémie causée par un virus zoonotique (transmissible de l'animal à l'homme), qui a été trouvé dans plusieurs espèces animales…

 

On peut surtout se demander s'il est digne de l'homme de se voir greffer des organes entiers en provenance d'animaux. Dans l'affirmative, cela vaut-il pour n'importe quel organe (coeur, intestin, cerveau,…)? L'implantation de valves cardiaques composées de tissus porcins est aujourd'hui largement pratiquée, mais n'est pas considérée comme une transplantation d'organes dès lors qu'il ne s'agit pas d'un organe entier et que les cellules du porc sont éliminées avant l'implantation. Le patient ne doit donc pas subir de traitement immunosuppressif, comme c'est le cas en l'espèce.

 

Autre enjeu éthique pointé par le Dr Johnson : utiliser des porcs comme des usines à organes n'entre-t-il pas en contradiction avec les bonnes pratiques actuellement promues en matière de bien-être animal ? Ces porcs sont élevés exclusivement pour leurs organes et, contrairement à ceux élevés pour leur viande, modifiés génétiquement. Leur vie est courte, confinée en un espace isolé, intérieur, stérilisé. Produits d'une insémination artificielle et d'une césarienne, ils sont sans cesse soumis à des mesures de contrôle d'infection, à des opérations chirurgicales successives, des procédures douloureuses, tests, biopsies, etc.

 

Face à la pénurie d'organes, accentuée par le vieillissement de la population selon le Prof. Arthur Caplan, quelles autres options demeurent ?

Tout d'abord, inciter davantage la population au don d'organes par une meilleure information, tout en respectant le choix personnel de chacun à cet égard. On observe par ailleurs de sérieux progrès dans l'impression 3D d'organes artificiels et la reconstitution de tissus à l'aide de cellules souches. Il reste évidemment à améliorer d'autres thérapies palliant les organes défectueux, comme les dialyses.

 

Ajouté en mai 2022 : David Bennett est décédé deux mois après la greffe, probablement, selon les médecins, en raison d'un cytomégalovirus propre au porc et qui était présent de manière dormante dans le coeur greffé.