Suicide assisté en Autriche : un an après la dépénalisation, le bilan critique de la Société de soins palliatifs

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 17 min.

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Le 11 janvier dernier, la Société autrichienne de soins palliatifs (OPG) a présenté au cours d’un webinaire les dernières données et conclusions sur la pratique de l’assistance au suicide en Autriche. La plateforme ASCIRS qui recueille ces données est alimentée de manière volontaire (donc possiblement incomplète) et anonyme par les proches, les soignants ou les psychologues au contact des personnes qui ont demandé l’assistance au suicide. Ces données inédites ont permis de dresser un bilan de cette première année d’application de la loi sur les dispositions de fin de vie.

Il apparaît tout d’abord que sur les 83 rapports recueillis par l’ASCIRS, 59 concernaient des demandes d’assistance au suicide. Parmi elles, 23 ont abouti[i]. Les patients étaient âgés de 43 à 97 ans et le rapport relève qu’une majorité sont des femmes (67%). Cette surreprésentation s’explique notamment, aux yeux de l’OPG, par la solitude plus grande vécue par les femmes veuves et un risque de pauvreté plus élevé chez ces femmes âgées.

Le suicide assisté, à défaut de prise en charge de la souffrance ?

Le rapport de l’OPG relève que « les souffrances vécues ou redoutées » sont le plus souvent mentionnées pour justifier l’assistance au suicide, suivies de près par l’évocation des symptômes physiques liés à la maladie et devenus insupportables. Ces motifs soulignent d’une part l’application large permise par la loi, qui ouvre l’assistance au suicide non seulement aux patients atteints de maladie mortelle incurable, mais également pour une maladie « grave et permanente avec des symptômes persistants dont les conséquences affectent durablement la personne concernée tout au long de sa vie » (voy. Actualité IEB). Ces motifs révèlent surtout un défaut de prise en charge de la souffrance physique : pour les suicides assistés qui ont effectivement été accomplis, « des symptômes physiques insupportables ont même été un facteur essentiel de la décision dans plus de ¾ des cas », relève l’OPG.

Des soins palliatifs dénaturés

Comment expliquer ce manque de prise en charge de la souffrance physique ? La loi autrichienne a réservé l’assistance au suicide à un cadre privé, c’est-à-dire que le patient s’administre lui-même la substance mortelle, la plupart du temps assisté par un proche. Plus rarement (dans 6 cas sur 23), un membre du personnel soignant est présent. Elle stipule que l’information, le conseil et l’explication sur cette pratique ainsi que la détermination de la capacité des patients à décider de leur suicide ne constituent pas, pour le personnel soignant, une aide au suicide[ii]. S’ils ne sont pas tenus de participer à l’acte, les soignants sont donc amenés à devoir informer les patients de la possibilité d’un suicide assisté. Dans les faits, il apparaît qu’un tel devoir d’information a des répercussions négatives sur les services de soins palliatifs. Dans un communiqué de presse du 28 décembre 2022, le Dr. Dietmar Weixler, président de l’OPG, déclare que les établissements de soins palliatifs ne peuvent plus travailler correctement et fournir les « services demandés en termes de soins complets et de soutien aux personnes atteintes de maladies graves ». Alors que le suicide assisté est considéré comme une marque d’autonomie, les données de l’ASCIRS montrent au contraire que plus de la moitié des patients qui ont eu recours à cette pratique l’ont fait en raison de symptômes physiques insupportables.

Sont ici en cause tout d’abord un manque de ressources : les soins palliatifs en Autriche ne couvrent que très partiellement les besoins et les budgets promis à l’occasion du vote de la loi se font toujours attendre. Mais les soignants manquent aussi de temps devant l’obligation nouvelle de répondre à « une préoccupation dont ils ne se sentent pas du tout responsables » à savoir, renseigner les patients qui le demandent sur les modalités du suicide assisté. Le Dr. Dietmar Weixler souligne notamment le conflit de valeurs vécu par les soignants de soins palliatifs qui doivent faire face à une confusion angoissante dans leur rôle, introduite par une « loi problématique».

En effet, il ressort de ce bilan que la loi ne protège pas le personnel de soins palliatifs d’une implication même indirecte dans le suicide assisté. Il en résulte une contradiction vécue douloureusement par les soignants qui doivent à la fois renseigner sur les modalités du suicide assisté et prévenir ces mêmes demandes en soulageant de leurs souffrances physiques et existentielles les patients en fin de vie.

 

 

[i] Selon un bilan au 15 décembre du ministère des Affaires sociales et de la Santé, moins de 10 suicides assistés auraient été réalisés à cette date. Les demandes de suicides assistés doivent normalement être motivées dans un testament de fin de vie et enregistrées dans le registre des dispositions de fin de vie. D’après l’OPG, ces testaments ne sont pas suivis ni vraiment analysés par le ministère fédéral. Les notifications de suicide assisté ne sont donc pas systématiques, ce qui expliquerait l’écart dans les chiffres de ministère et ceux de l’OPG.

 

[ii] Deux médecins sont requis pour vérifier la capacité de consentement du patient et que sa maladie remplie les conditions données par la loi pour le suicide assisté. L’un d’eux doit être spécialisé en soins palliatifs. Ils doivent renseigner le patient sur les traitements et soins possibles. Ils produisent une attestation qui permet ensuite à un notaire d’enregistrer la demande de suicide assisté dans le registre administratif gouvernemental. Un délai de 12 semaines est prévu entre l’enregistrement et le retrait de la substance létale en pharmacie.

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