En France, ce jeudi 24 juin 2021, le Sénat a rejeté unanimement en 3e lecture la loi bioéthique faute de consensus avec l'Assemblée nationale. L'Assemblée devrait avoir le dernier mot le 29 juin prochain sur le texte qu'elle a soumis le 8 juin et qui avait été voté à 84 voix contre 43. Parmi les mesures phares de ce projet de loi, on compte, en l'état :
L'élargissement de la PMA (procréation médicalement assistée) aux couples de femmes et aux femmes seules, alors qu'elle était jusque-là limitée aux troubles de la fertilité
L'autorisation de créer des chimères homme-animal à des fins de recherche : si l'interdiction d'insérer des cellules animales dans l'embryon humain a été clarifiée, l'adjonction de cellules humaines à un embryon animal est quant à elle autorisée.
L'assouplissement du régime d'autorisation des recherches sur cellules souches embryonnaires.
L'engagement des établissements de santé, de formation et de recherche à apporter respect et dignité aux corps de personnes décédées donnés à la science (à la suite des affaires de non-respect des corps des personnes décédés dans certaines facultés de médecine).
Parmi les mesures rejetées par l'Assemblée nationale :
La PMA post-mortem (PMA de la veuve avec les gamètes du conjoint décédé)
L'élargissement de l'avortement au motif de « détresse psychologique » jusqu'au terme de la grossesse.
L'insertion d'une clause de conscience spécifique pour l'interruption médicale de grossesse
L'élargissement du diagnostic prénatal à de nombreuses pathologies
Tel que voté en l'état, le projet de loi bioéthique fait ainsi fi des conclusions citoyennes apportées aux Etats Généraux de la bioéthique de 2018 et de l'absence de consensus avec le Sénat.
Le projet de loi soulève de sérieuses questions éthiques. Les nouvelles techniques de PMA viennent bouleverser les représentations de la famille et de la filiation. En effet, aux problèmes initiaux du recours à la PMA (usages de traitements hormonaux artificiels, contraintes médicales, coût financier, recours au don de gamètes et rupture entre la filiation biologique et la filiation sociale, voir le dossier de l'IEB sur la PMA) s'ajoutent de nouveaux enjeux. Cet élargissement de la PMA conduirait à autoriser :
une filiation sans père (pour l'enfant issu d'une PMA pour un couple de femmes)
une filiation sans père ni mère biologiques en cas de double don d'ovocyte et de spermatozoïdes (jusqu'à présent, la loi exige qu'au moins l'un des deux parents ait un lien génétique avec l'enfant issu d'une PMA).
une filiation sans deuxième parent (pour l'enfant issu d'une PMA pour femme seule) : on sait pourtant que la monoparentalité expose à un risque non-négligeable de précarisation et d'hyper-responsabilité au quotidien dans le chef de la mère, non sans conséquences sur le développement de l'enfant.
L'absence de filiation biologique entre l'enfant et son ou ses parents légaux serait compensée par un droit d'accès aux origines de l'enfant à partir de sa majorité, a minima s'agissant de données médicales non identifiantes (âge, caractéristiques physiques, …). Plusieurs études ont pourtant montré les difficultés de construction identitaire de nombreux enfants souffrant de ne pas connaître leur géniteur, ceux-ci ne pouvant s'inscrire dans une histoire familiale et se positionner par rapport à la complémentarité du modèle père-mère.
Une telle extension de l'accès à la PMA apparaît en quelque sorte comme prométhéenne, à travers sa volonté de dépasser, grâce aux nouvelles techniques médicales, l'impossible procréatif d'une personne individuelle ou de personnes de même sexe.
En outre, l'extension de la PMA au nom de l'égalité, associée à la reconnaissance de fait des GPA réalisées à l'étranger, pose les fondements d'une dépénalisation prochaine de la GPA en France.
D'après l'agenda politique, le projet de loi devrait être adopté définitivement le 29 juin à l'Assemblée nationale.
Bibliographie :
Diane Drory, Le Complexe de Moïse : Regards croisés sur l'adoption, éd. Albin Michel, 2006
Séverine Mathieu, L'Enfant des possibles, assistance médicale à la procréation, éthique, religion et filiation, Éditions de l'Atelier, 2013
Dominique Mehl, Lois de l'enfantement, procréation et politique en France (1982-2011), Les Presses de Sciences-Po, 2011