Avortement : quelles lectures belge et européenne de l'arrêt de la Cour Suprême des États-Unis ?

Publié le : Thématique : Début de vie / Avortement Actualités Temps de lecture : 4 min.

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L'arrêt rendu le 24 juin dernier par la Cour suprême des États-Unis au sujet de l'avortement a relancé le débat sur le rôle du droit face à la question de l'avortement.

Bien que l'arrêt ne concerne formellement que la réglementation de l'avortement dans les cinquante États américains, nombreux sont ceux qui soulignent l'impact d'une telle décision sur le reste du monde, en ce compris l'Europe et la Belgique.

 

Résumé de l'arrêt

Rappelons que, dans cet arrêt Dobbs c. Jackson Women's Health Organization, la Cour suprême considère que « la Constitution américaine ne confère pas de droit à l'avortement », et que le pouvoir de réglementer une telle pratique revient dès lors aux représentants du peuple dans chaque État. La Cour renverse ainsi sa jurisprudence antérieure, en particulier les arrêts Roe v. Wade (1973) et Planned Parenthood v. Casey (1992). Dans ces arrêts, les juges suprêmes avaient inféré de la Constitution – en particulier du 14e amendement – un droit à avorter jusqu'à la viabilité du foetus, soit 24 semaines de grossesse.

Les juges majoritaires considèrent que cette jurisprudence était erronée, étant donné que la Constitution ne contient aucune référence à la question de l'avortement et que l'idée d'un « droit à l'avortement n'est pas profondément enracinée dans l'histoire et la tradition de la Nation » américaine.

Selon la Cour, la seule invocation d'un « droit à l'autonomie » ne suffit pas à justifier une telle libéralisation de l'avortement, tenant compte de l'équilibre à trouver entre l'autonomie de la femme et le fait de mettre fin à la vie d'un « être humain en gestation ».

La Cour note enfin que l'utilisation du critère de viabilité du foetus pour distinguer les avortements légaux des avortements illégaux constitue un argument arbitraire, dans la mesure où « le seuil de viabilité a évolué ces derniers temps et dépend fortement de facteurs – tels que les avancées médicales ou la disponibilité de soins de qualité – qui n'ont aucun lien avec les caractéristiques d'un foetus ».

En conclusion, du fait de « la profonde question morale » que soulève l'avortement, il appartient au peuple et à leurs représentants élus de réglementer cette question.

 

Vers un rapprochement du droit américain avec le droit européen

De nombreux commentateurs, en particulier en Europe, ont vu dans ce renversement de jurisprudence le signal d'une « régression » ou d'un « retour en arrière » en matière de droit des femmes « à disposer de leur corps ».

Il convient de rappeler qu'à travers cet arrêt, la Cour suprême se garde d'autoriser ou d'interdire la pratique de l'avortement, mais reconnaît à chaque État fédéré le pouvoir de légiférer en la matière.

Depuis le prononcé de l'arrêt, les législations adoptées ou en voie d'adoption par les différents États américains prennent ainsi des directions diverses et opposées, certains États allant vers une restriction plus grande de l'avortement (voire une interdiction quasi-complète), d'autres se dirigeant vers une libéralisation poussée de la pratique.

Loin de s'éloigner de la situation juridique prévalant en Europe en matière d'avortement, le droit américain s'en rapproche en réalité, à plusieurs égards.

 

Subsidiarité et séparation des pouvoirs

En premier lieu, en redonnant à chaque législateur fédéré la compétence sur la question, la Cour suprême rejoint en fait la position de la Cour européenne des droits de l'homme, selon laquelle le droit au respect de la vie privée inscrit à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'implique pas la reconnaissance d'un droit à l'avortement. Ainsi, en vertu du principe juridique de subsidiarité, chaque État européen est libre et souverain s'agissant de la réglementation relative à la pratique de l'avortement. Il appartient aux élus de chaque parlement national d'exprimer démocratiquement un choix en la matière.

Loin d'être le signe d'un « gouvernement des juges », cette décision marque le respect de la séparation des pouvoirs et du processus démocratique sur une question faisant l'objet d'opinions divergentes au sein de la société. Rappelons que seul environ un tiers des Américains était en faveur de la position antérieure de la Cour suprême sur le sujet, consistant à autoriser l'avortement jusqu'à 24 semaines (5 mois et demi) de grossesse. Une majorité d'Américains considère que l'avortement devrait être autorisé dans « certains cas » ou dans « la plupart des cas », à certaines conditions.

 

L'avortement comme dérogation au principe de respect de la vie

Deuxièmement, il convient de rappeler que la législation validée par la Cour suprême, relative à l'État du Mississipi, ramenait le délai légal d'avortement à 15 semaines. Un tel délai est en réalité plus étendu que celui prévu actuellement dans la plupart des pays européens, oscillant entre 10 et 12 semaines de grossesse.

En Belgique, le délai légal pour un avortement sans motif médical est de 12 semaines. L'avortement est « dépénalisé », dans la mesure où il reste considéré comme une « dérogation au respect de la vie », sous certaines conditions.

En dépit des revendications formulées par certains militants et représentants politiques belges et français visant à inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution, il n'est pas question aujourd'hui d'un « droit à l'avortement » au sens formel du terme, dans la mesure où celui-ci impliquerait la reconnaissance d'un droit subjectif de la femme à pouvoir mettre fin à la vie de son foetus.

Dans un récent article publié dans la Revue interdisciplinaire d'études juridiques, le Professeur de théorie du droit Xavier Dijon rappelait à cet égard que le droit implique la reconnaissance préalable d'une relation. En l'espèce, envisager un droit inconditionnel à l'avortement conduirait à nier l'existence du partenaire le plus faible de la relation, dont la personne et le corps se distinguent de ceux de la femme qui l'enfante.

Comme l'indique par ailleurs le Professeur de droit Bertrand Mathieu, au sujet de la situation en France, « [si] on reconnaissait un véritable droit à l'avortement, cela aboutirait à reconnaître à la femme un droit absolu sur la vie du foetus, en excluant la prise en compte de ce qui reste de protection de ce dernier ». Ainsi, à ses yeux, « [si] l'on revenait sur cet équilibre, on changerait de perspective et de philosophie ».

 

Quelles politiques de prévention de l'avortement ?

Les débats relatifs à la reconnaissance d'un droit à l'avortement omettent en réalité la nécessité de « politiques véritables de prévention de l'avortement ». Comme le rappelle Caroline Roux, Directrice générale adjointe d'Alliance VITA, tant aux Etats-Unis qu'en Europe, le recours à l'avortement est souvent justifié par des problèmes économiques que causerait la naissance d'un enfant.

Tenant compte également du fait qu'un pourcentage important des avortements concerne des femmes sous contraception, il apparaît aujourd'hui clairement que la promotion de l'avortement et de la contraception ne constitue pas une réponse suffisante aux défis posés par les grossesses non planifiées vécues par les femmes. Tant en Europe qu'aux États-Unis, le renforcement des politiques de soutien à la parentalité semble devenu aujourd'hui indispensable, afin d'offrir aux femmes et aux couples la possibilité de poser un choix libre et éclairé en la matière.