
Depuis cette semaine, l’Assemblée nationale française examine en séance publique deux propositions de loi relatives à la fin de vie. Le premier texte concerne les « soins palliatifs et d’accompagnement », alors que le second porte sur « l’aide à mourir ». Derrière ce terme, la proposition vise en réalité à légaliser la mort programmée sur demande, sous la forme du suicide assisté ou de l’euthanasie.
Le projet d'autorisation du suicide assisté et de l'euthanasie en France, porté depuis un certain temps par plusieurs acteurs de la vie politique et médiatique de l'Hexagone, a fait l'objet de multiples initiatives ces dernières années, en dépit de certains soubresauts politiques.
Depuis l'avis majoritairement favorable à l'autorisation de l'euthanasie rendu par le Comité consultatif national d'éthique en septembre 2022 (en contradiction avec des avis précédents qui y étaient jusqu'alors largement défavorables), le calendrier politique s'est accéléré en la matière. S'ensuivirent en effet la tenue d'une convention citoyenne sur la fin de vie à partir de décembre 2022, et l'examen d'un projet de loi gouvernemental dès mai 2024, stoppé par la dissolution de l'Assemblée nationale quelques semaines plus tard.
La proposition de loi examinée depuis le 12 mai en séance publique est issue du texte adopté en première lecture en commission des affaires sociales.
Vers un droit à "recourir à une substance létale"
En son article 1er, le texte institue un "droit à l'aide à mourir", à savoir le fait d'autoriser une personne qui le demande à "recourir à une substance létale [...] afin qu’elle se l’administre ou se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier".
Sous le vocable d'"aide à mourir", il s'agit donc, pour la personne qui le demanderait, de se suicider après en avoir reçu les moyens, ou de se faire euthanasier par un soignant, dans le cas où elle n'est plus capable de s'administrer la substance létale.
Subjectivité des conditions d'accès
Outre les conditions de majorité et de nationalité française (ou de résidence sur le territoire), le texte prévoit, à l'instar de la loi belge, une condition liée à l'état médical et une condition liée à l'état de souffrance :
- La personne doit être "atteinte d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale" ;
- Elle doit par ailleurs "présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle‑ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement".
Le patient doit par ailleurs être considéré comme "apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée".
A l'instar de la loi belge, le texte ne prévoit donc pas que la mort du patient soit attendue à brève échéance pour qu'il soit mis fin à sa vie. D'aucuns, à l'instar de la Haute Autorité de Santé, ont d'ailleurs souligné le caractère vague et non objectif de la notion de "phase avancée ou terminale", de même que celle de "pronostic vital engagé".
Avis non contraignant des autres soignants
Le médecin sollicité par le patient pour qu'il soit mis fin à sa vie doit recueillir l'avis d'un autre médecin (qui n'est pas obligé de consulter le patient), ainsi que l'avis d'un autre auxiliaire médical ou aide-soignant (le cas échéant à distance), sans que ces avis soient contraignants.
Un délai minimal ramené à quelques jours entre la demande et la mort par injection létale
Si, endéans le délai de quinze jours, le médecin se prononce favorablement sur la demande du patient, celui-ci peut se voir euthanasié ou mourir par suicide assisté suivant un délai de réflexion d'au moins deux jours. En pratique, cela signifie que le laps de temps séparant la demande initiale de la personne et sa mort par injection létale peut être ramené à une poignée de jours. Cela dépendra de la rapidité avec laquelle le médecin rend sa décision et du délai choisi par la personne pour qu'il soit mis fin à sa vie.
Les soignants impliqués dans tous les cas
Dans la mesure où il est prévu que la personne s'administre en principe elle-même la substance létale, la mort programmée prévue par le texte en discussion correspond à un suicide assisté.
Seule l'hypothèse où la personne n'est pas capable de s'auto-administrer le cocktail lytique implique alors la réalisation d'une euthanasie par le médecin ou l'infirmier.
Cependant, même dans le cas où il n'administre pas la substance létale à la personne, le médecin ou l'infirmier "chargé d'accompagner" celle-ci est tenu d'assurer "la surveillance de l'administration de la substance létale par la personne", en plus de s'être procuré la substance létale et d'avoir, le cas échéant, pris la responsabilité d'autoriser le suicide assisté de la personne en amont.
Le suicide assisté est une "mort naturelle"
Le texte de loi prévoit par ailleurs que le certificat de décès mentionnera que la personne est "réputée décédée de mort naturelle".
Ceci fait écho à une disposition équivalente de la loi belge. Justifiée aux fins de garantir l'accès à la couverture de certaines assurances-vies, cette fiction juridique conduit néanmoins à tromper gravement le citoyen sur la réalité même du geste de mort - non naturelle - qu'implique l'euthanasie ou le suicide assisté.
Clause de conscience limitée
Si le texte assure aux médecins, infirmiers et auxiliaires de santé le droit de refuser de participer à cette procédure, les pharmaciens sont en revanche exclus de la protection prévue par cette clause de conscience spécifique, alors même qu'il leur est demandé de s'impliquer dans la préparation et la délivrance de la substance létale.
Par ailleurs, est explicitement exclue la liberté des établissements de santé et des maisons de retraite de ne pas prévoir l'euthanasie ou le suicide assisté en leur sein : les personnels de ces institutions ne pourront s'opposer à la réalisation de la mort programmée entre leurs murs.
Contrôle du respect de la loi après le décès du patient
Une commission de contrôle est mise en place par le texte, chargée notamment d'évaluer le respect des conditions de la loi, une fois le patient décédé, sur la seule base des informations déclarées par les soignants concernés.
Délit d'entrave pour le fait de tenter d'empêcher le suicide assisté
Les seules dispositions pénales introduites par le texte concernent le fait d'empêcher (ou de tenter d'empêcher) autrui de pratiquer le suicide assisté ou l'euthanasie, ou de s'informer à ce sujet, "par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir ".
Le texte accorde aux associations militant en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté ("dont l’objet statutaire comporte la défense des droits des personnes à accéder à l’aide à mourir") le droit de se porter partie civile afin que soient entamées des poursuites sur cette base.