Constitutionnalisation de l’avortement en France : un symbole à haut risque

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Début de vie / Avortement Actualités Temps de lecture : 4 min.

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À Versailles, ce lundi 4 mars 2024, les parlementaires français réunis en Congrès ont voté l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution, à 780 voix pour et 52 contre. L’article unique visant à modifier l'article 34 de la Constitution vient s’ajouter à la liste des droits et des libertés des citoyens dans ces termes : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». « Liberté garantie » : s’il est encore impossible de savoir comment le juge constitutionnel interprètera cet ovni juridique, l’inscription de cet acte dans la Constitution manifeste que la maîtrise de la vie naissante devient une réelle priorité aux yeux du monde politique.    

La clause de conscience spécifique à l’avortement est remise en question

La clause de conscience spécifique à l’avortement est née de la loi Veil de 1975 qui dépénalisait l’avortement. Elle prévoit qu'un « médecin ou une sage-femme n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse » et qu'aucune « sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu'il soit, n'est tenu de concourir à une interruption de grossesse » (Code de la santé publique). Cette protection permet aux personnels de santé d'exercer leur liberté pour se mettre en retrait à l'égard d'un acte qui heurterait leur conscience, sans s'exposer à des sanctions. En garantissant dans la Constitution la liberté d’avorter, les parlementaires installent symboliquement une dangereuse concurrence des libertés qui pourrait fragiliser la clause de conscience du personnel soignant. Le jour du vote par le Congrès, la députée Mathilde Panot (LFI) et la sénatrice Mélanie Vogel (Les Écologistes) envisageaient déjà de demander « l’abrogation de la double clause de conscience ». (IVG franceinfo, 04/03/2024).  

Si pour certaines féministes comme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, ce vote est « un symbole fort » qui ne « changera pas l’interprétation de la loi », il permettra de peser sur le pouvoir politique pour favoriser toujours plus l’accès à l’avortement à l’heure où, on le sait, les soignants disposés à pratiquer ou à participer à un avortement se font de plus en plus rares

Liberté garantie d’avorter contre droit à la vie ?

Fruit d’un compromis entre les deux chambres, la formulation retenue signifie « qu'aucune loi ne pourra dire explicitement que la femme n'a pas la liberté de recourir à l'IVG », selon Laureline Fontaine, professeure de droit constitutionnel à la Sorbonne Nouvelle. (France Bleu, 26/01/2024) Dans ce contexte, on comprend l’inquiétude de certains parlementaires comme le sénateur non inscrit Stéphane Ravier pour qui cette inscription dans la Constitution ouvre la voie à « la reconnaissance par le juge constitutionnel de l’avortement jusqu’au terme de la grossesse, de l’avortement en raison du sexe de l’enfant ou sur des critères eugénistes ». Ajoutant que, « quelqu’un qui voudrait soutenir la vie à naître pourrait être pénalement sanctionnable ». S’il est trop tôt pour savoir comment le juge interprétera cette « liberté garantie » d’avorter, on peut présager d’une difficulté supplémentaire à revendiquer, pour ces enfants à naître, un droit à la vie.

Le contexte sociologique dans lequel intervient cette constitutionnalisation de l’avortement est troublant. En effet, l’Institut national d'études démographiques (Ined) a enregistré pour la France le nombre record de 232.000 avortements en 2022. Dans le même temps, la natalité ne cesse de diminuer selon ce même institut, faisant passer le ratio de 1 avortement pour 4 naissances en 2017 à 1 avortement pour 3 naissances en 2022. La portée idéologique de la « consécration » juridique de l’avortement, va-t-elle empirer ce ratio ?

Quid de la prévention ?

Alors que 75 % des femmes qui ont avorté indiquent y avoir été poussées par des contraintes sociales ou économiques (selon l’Institut Guttmacher), la prévention est plus que jamais urgente. Le droit des femmes passe certainement par une meilleure considération de leurs besoins. Or, ce sont les catégories socio-professionnelles les moins favorisées qui recourent le plus à l’avortement. Que sera-t-il fait pour aider ces femmes qui sont poussées à avorter dès lors que la société considère que l’avortement est une liberté à garantir ? De plus, qu’en sera-t-il de l’information donnée aux femmes sur les risques inhérents à cet acte ?

Il est courant de distinguer les avortements dits « dangereux » réalisés dans certains pays où l’avortement n’est pas mis en œuvre par les pouvoirs publics et qu’il faudrait prévenir, des avortements « sûrs » car protégés par la loi. La France a dépénalisé l’avortement depuis 1975 et met tout en œuvre pour favoriser l’avortement. Pourtant, ces mesures ne rendent pas l’avortement moins traumatisant pour les femmes. Les conséquences physiques, psychologiques et sociales sur leur santé montrent qu’il est urgent de prévenir cet acte. Selon une étude de 2011 portant sur les liens entre avortement et santé mentale, les femmes qui ont subi un avortement présentent un risque 81 % plus élevé de problèmes de santé mentale que les femmes qui n'ont pas avorté. Cette étude montre aussi le lien entre l’avortement et un risque accru d’addictions à la drogue ou à l’alcool et d’idées suicidaires.

La question se pose enfin de savoir s'il sera encore possible de proposer des alternatives à l’avortement s’il est qualifié de « liberté garantie ».

Pour aller plus loin, voir le Dossier de l’IEB “Conséquences psychologiques de l’avortement”.