Cour européenne des droits de l'homme & Gestation pour autrui

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Début de vie / Gestation pour autrui Textes de jurisprudence Temps de lecture : 5 min.

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Aspects généraux

Avant de se pencher sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme quant à la gestation pour autrui (ci-après « GPA »), il convient de souligner que la Cour ne se prononce pas sur la légalité de cette procédure.

Elle admet qu'il n'a pas consensus en Europe ni sur la légalité de la GPA ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d'intention et les enfants ainsi légalement conçus à l'étranger.

Etant donné les questions éthiques que pose la GPA, les Etats membres disposent d'une ample marge d'appréciation tant concernant la décision d'autoriser ou non ce mode de procréation mais également par rapport à la reconnaissance du lien de filiation entre les enfants légalement conçus par GPA à l'étranger et les parents d'intention. Toutefois, la Cour considère que cette marge d'appréciation peut être restreinte du fait que la filiation est « un aspect essentiel de l'identité des individus ».

Père biologique et filiation

Le refus de retranscription d'actes d'état civil pour des enfants nés par gestation pour autrui a fait l'objet des contentieux principaux en matière de GPA.

Suite à plusieurs requêtes déposées devant la Cour européenne des droits de l'homme, celle-ci a statué que le refus de reconnaître en droit interne une filiation légalement établie à l'étranger entre les enfants nés d'une GPA avec les gamètes du père et l'ovule d'une donneuse constitue une violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») s'agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée mais non pas du droit des requérants au respect de leur vie familiale. (CEDH, Mennesson c. France, 26 juin 2014, no 65192/11 ; CEDH, Labassee c. France, 26 juin 2014, no 65941/11 ;  CEDH, Laborie c. France, 19 janvier 2017, no 44024/13).

La Cour a admis dans les arrêts Mennesson (§ 99) et Labassee (§ 78) précités, qu'il était « concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l'étranger à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire ».Toutefois, la Cour a souligné que la non reconnaissance en droit interne du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d'intention a des effets sur ces derniers mais plus encore sur le droit au respect de la vie privée des enfants eux-mêmes, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation notamment quand un des parents d'intention est également géniteur de l'enfant.

Tout en affirmant la légitimité d'un État d'interdire la pratique de la GPA, elle note également qu'une jurisprudence interne qui empêche totalement l'établissement du lien de filiation entre les enfants nés d'une GPA régulièrement réalisée à l'étranger et leur père biologique, dépasse l'ample marge d'appréciation dont disposent les États dans leurs décisions relatives à la GPA si elle ne permet même pas une consécration de ce lien par la voie d'une reconnaissance de paternité ou de l'adoption ou par l'effet de la possession. (Mennesson, précité, § 100).

Cette obligation vaut tout autant, que le couple demandeur soit hétérosexuel ou homosexuel. (CEDH, Foulon et Bouvet c. France, 21 juillet 2016, nos 9063/14 et 10410/14).

 

Mère d'intention et filiation

Si la Cour avait déjà établi une jurisprudence constante quant au lien de filiation avec le père biologique, elle s'est penché également sur le lien avec la mère d'intention. Comme déjà relevé dans les arrêts Mennesson (§§ 96) et Labassee (§§ 75) précités, la Cour considère que « l'absence de reconnaissance en droit interne du lien entre l'enfant et la mère d'intention défavorise l'enfant dès lors qu'il le place dans une forme d'incertitude juridique quant à son identité dans la société ». En estimant que la filiation est un aspect particulièrement important de l'identité d'un individu, la marge laissée à l'État est d'ordinaire restreinte. Ainsi, elle a statué que l'impossibilité générale et absolue d'obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d'une GPA pratiquée à l'étranger et la mère d'intention n'est pas conciliable avec l'intérêt supérieur de l'enfant. Celui-ci comprend aussi l'identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l'élever, raison pour laquelle s'impose au minimum un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise (Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d'un lien de filiation entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et la mère d'intention, 10 avril 2019, demande no P16-2018-001, §§42).  

Toutefois, la Cour précise dans ce même avis que la reconnaissance du lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention n'impose pas aux Etats de procéder à la transcription de l'acte de naissance étranger qui désigne la mère d'intention comme mère légale, dans la situation où l'enfant a été conçu avec les gamètes d'une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l'enfant et le père d'intention a été reconnu en droit interne.

En effet, la Cour note qu'il n'y a pas de consensus européen sur ce point, raison pour laquelle elle considère que « le choix des moyens à mettre en oeuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d'intention tombe dans la marge d'appréciation des États ». Les Etats membres ont la liberté de prévoir d'autres modalités telle que l'adoption tant que ce sont des mécanismes effectifs permettant la reconnaissance de ce lien (avis no P16-2018-001 précité, §51).

Cette solution a été confirmée dernièrement dans l'affaire D. contre France. En faisant référence aux arrêts Mennesson et Labassee précités , la Cour considère que la reconnaissance du lien de filiation entre l'enfant et les parents d'intention – et génétiques – ne doit pas obligatoirement se faire par voie de transcription de l'acte de naissance étranger (CEDH, D. c. France, le 16 juillet 2020, no 11288/18, §58-§59).

Absence de lien biologique

La Cour européenne a été saisie également d'une affaire qui portait sur la filiation d'un enfant sans aucun lien biologique avec les commanditaires.

Dans une première décision, la Cour avait considéré que les mesures prises par l'État (en l'occurrence, l'Italie) qui refusait la reconnaissance de la filiation issue d'une GPA violaient l'article 8 de la Convention. Plus concrètement, la Cour a estimé que l'éloignement rapide d'un enfant de ses parents d'intention est une mesure extrême à laquelle on ne devrait avoir recours qu'en tout dernier ressort. Une telle décision pouvait être prise juste après une évaluation concrète des conditions de vie de l'enfant avec les parents concernés, en suivant l'intérêt supérieur de l'enfant (CEDH, Paradiso et Campanelli c. Italie, 27 janvier 2015, no 25358/12, §80).

La Cour avait jugé également, toujours dans l'affaire Paradiso précitée, que le refus de reconnaissance, en lui-même, pouvait être fondé s'il y avait des justes motifs tels que l'absence avérée de liens génétiques entre l'enfant et les parents concernés et/ ou la violation de la législation nationale relative à l'adoption internationale et à la procréation médicalement assistée.

Pourtant, la Grande Chambre a révisé la position initiale. Ainsi, depuis 2017, la Grande Chambre considère que s'il y a absence de vie familiale en plus de l'absence de lien biologique les parents d'intention ne peuvent pas se prévaloir d'une éventuelle violation de l'article 8.  Pour établir l'absence de vie familiale, la Cour prend en compte la courte durée de la cohabitation et de la « précarité » juridique des liens, et ce « malgré l'existence d'un projet parental et la qualité des liens affectifs ». (CEDH, Paradiso, et Campanelli c. Italie, 24 janvier 2017, no 25358/12, §157).

La Cour admet, certes, que la vie privée des personnes concernées peut être affectée par le retrait d'un enfant. Toutefois, tant que le but de la mesure est légitime - telle que la défense de l'ordre et la protection des droits et libertés d'autrui - la Cour considère qu'il n'y a pas de violation de leurs droits.

Actes administratifs

La Cour s'est penché également sur la question du refus des autorités de délivrer un passeport à un enfant né dans le cadre d'une convention de gestation pour autrui à l'étranger.

Elle admet que ce refus, en engendrant même une séparation effective entre les parents et l'enfant, constitue une ingérence dans le droit au respect de leur vie familiale.

Pour vérifier si l'Etat ne dépasse pas les limites de la marge d'appréciation dont il bénéficie et qu'il n'y a pas de violation au respect de la vie privée et de la vie familiale, la Cour analyse, eu égard aux circonstances de l'espèce, si l'ingérence est justifiée par des objectifs de prévention des infractions pénales, en particulier de lutte contre la traite des êtres humains et également par la protection des droits d'autrui.

De plus, la Cour estime que « la Convention ne saurait obliger les États parties à autoriser l'entrée sur leur territoire d'enfants nés d'une mère porteuse sans que les autorités nationales aient pu préalablement procéder à certaines vérifications juridiques pertinentes » (CEDH, D.A contre Belgique, 8 juillet 2014, décision no 29176/13, §59).