Portugal : légaliser l'euthanasie en pleine crise sanitaire ?

Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 4 min.

 Imprimer

Alors que le pays fait face à une aggravation critique de sa situation sanitaire, le Parlement portugais s'apprête à envisager l'adoption finale d'une loi dépénalisant l'euthanasie.

Le texte en question, synthèse de plusieurs propositions des partis de gauche et du centre, est en discussion depuis près d'un an à l'Assemblée de la République (parlement monocaméral) du Portugal.

 

Opposition citoyenne

Le vote final sur ce texte intervient alors que le système portugais de soins de santé est à bout de souffle, dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Depuis le début de l'année 2021, le pays enregistre des taux records de décès, et voit ses hôpitaux arriver à une situation de rupture, amenant les soignants à exercer une « médecine de catastrophe ».

Dans ce contexte préoccupant, le mouvement citoyen Stop Eutanasia a lancé une campagne vidéo intitulée Humanizar Portugal, visant à sensibiliser les députés et l´opinion publique quant à l'importance du soin et de l'accompagnement des personnes fragilisées, en lieu et place de l'euthanasie.

Prévu ce vendredi 29 janvier, le vote final des députés portugais est programmé moins d'une semaine après les élections présidentielles. Celles-ci ont vu le président sortant Marcelo Rebelo de Sousa être réélu. Dans l'hypothèse où la proposition de loi est adoptée, le président, chargé de promulguer les lois, dispose encore de la possibilité de formuler un veto à l'égard du texte, ou de renvoyer celui-ci pour contrôle préalable vers la Cour constitutionnelle.

Notons que la dépénalisation de l'euthanasie a déjà fait l'objet d'un débat parlementaire au Portugal il y a plusieurs années. Celui-ci s'était alors conclu par un rejet de la proposition en mai 2018 (voy. Bulletin IEB 29/05/2018)

 

Analyse de la proposition

« L'anticipation de la mort médicalement assistée »

Le terme d'euthanasie n'est pas explicitement mentionné dans l'intitulé de la loi (même si celui-ci figure à l'article 1er) : la loi parle de dépénalisation de « l'anticipation de la mort médicalement assistée ». Cette périphrase désigne plus fondamentalement le fait de provoquer intentionnellement la mort du patient à sa demande.

L'euthanasie est dépénalisée dès lors qu'elle fait suite à une décision d'une personne majeure, portugaise ou résidant au Portugal, « dont la volonté est actuelle et réitérée, sérieuse, libre et éclairée ». Cette personne doit se trouver dans une « situation de souffrance intolérable avec des lésions permanentes d'une gravité extrême ou une maladie incurable et mortelle ». La loi précise par ailleurs que l'euthanasie doit être pratiquée par des professionnels de la santé (art. 2) et que la demande d'euthanasie doit être formulée par écrit (art. 3).

 

Appréciation subjective de la souffrance

Il convient de remarquer que la loi ne requiert pas que la souffrance soit causée par les lésions ou la maladie, mais seulement qu'elle soit concomitante à celles-ci. De même, il importe peu que la souffrance du patient soit ou non apaisable : une souffrance intolérable mais qui pourrait être apaisée peut ainsi ouvrir la voie à l'euthanasie. L'on perçoit ici la subjectivité inhérente à de telles conditions médicales de souffrance, dont l'appréciation repose essentiellement et en définitive sur le patient. Notons d'ailleurs que parmi les souffrances visées, figure également la souffrance psychique.

 

Absence de condition de fin de vie

De même, il convient de noter que l'existence d'une maladie terminale ne constitue pas une condition sine qua non de la loi, l'euthanasie étant admise pour les personnes ayant des « lésions permanentes d'une gravité extrême ». Une personne lourdement handicapée est donc ainsi éligible à l'euthanasie en l'état actuel de la proposition de loi.

Cette proposition intervient alors que le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, le rapporteur spécial sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, ainsi que l'expert indépendant sur les droits des personnes âgées alertent sur le fait que « le handicap ne peut en aucune façon constituer un motif légitime d'accès à l'euthanasie ».

 

Accès aux soins palliatifs

La loi prévoit par ailleurs la nécessité de garantir l'accès du patient aux soins palliatifs, dès lors qu'il le demande (art. 3.6). A ce propos, l'on sait que l'accès à des soins palliatifs de qualité permet régulièrement de soulager le patient de sorte qu'il ne souhaite plus être euthanasié. Or, comme l'a récemment formulé une professionnelle de la santé, 70% des patients portugais susceptibles de bénéficier des soins palliatifs n'y ont pas accès, faute de personnel suffisamment formé dans les établissements de soins du pays.

 

Procédure de l'euthanasie

Le médecin référent est tenu d'émettre un avis motivé quant au respect des conditions légales relatives à l'euthanasie, et d'informer le patient de sa situation clinique, en particulier des traitements et soins (y compris palliatifs) envisageables. L'avis conforme d'un second médecin, spécialiste de la pathologie du patient, est également requis.

La Commission de vérification et d'évaluation mise sur pied par la loi est chargée de vérifier le respect des exigences légales dans un délai de cinq jours après l'avis des médecins (art.7). En ce qu'elle prévoit un contrôle a priori par la commission, la proposition de loi portugaise se distingue notamment des législations belges et néerlandaises, celles-ci ne requérant qu'un contrôle a posteriori par la commission de contrôle.

Si l'avis d'un des deux médecins ou de la commission est négatif, la procédure est clôturée, mais le patient peut formuler une nouvelle demande auprès d'un autre médecin.

En cas d'avis favorable, le patient choisit le jour, l'heure, le lieu et la méthode par lequel il est mis fin à ses jours. Parmi les méthodes envisagées par la loi, figure l'auto-administration de la substance létale par le patient lui-même ou l'administration de celle-ci par le médecin ou le professionnel de la santé (art. 8).

 

Obligation des établissements de soins de pratiquer l'euthanasie

L'objection de conscience est reconnue à l'ensemble des professionnels de la santé ne souhaitant pas exercer ou participer à l'euthanasie (art. 20). Les soignants impliqués dans l'euthanasie bénéficient également d'un soutien psychologique à leur demande (art. 17). En revanche, aucune disposition ne prévoit la possibilité pour un établissement de soins d'exclure la pratique de l'euthanasie : la loi prévoit à l'inverse de possibles sanctions pour les établissements n'appliquant pas les dispositions en matière d'euthanasie (art. 22). L'application d'une telle disposition porterait en l'occurrence atteinte à la liberté d'association des établissements concernés, ainsi que, par ricochet, 'à la liberté de conscience de leurs membres.