La Cour constitutionnelle allemande oblige l’Etat à organiser l’aide inconditionnelle au suicide

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 3 min.

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« Le droit général au libre épanouissement et à la dignité de l'être humain comprend le droit à une mort auto-déterminée » : par ces quelques mots, la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne (Bundesverfassungsgericht) vient de bouleverser fondamentalement le cadre juridique allemand concernant la protection de la dignité humaine au sein de la société.

Dans un arrêt rendu ce mercredi 26 février 2020, la Cour constitutionnelle invalide en effet non seulement l'interdiction de l'aide au suicide, mais contraint purement et simplement le Parlement allemand à donner les moyens à chaque personne de se suicider, que celle-ci souffre d'une maladie incurable ou non.

A l'origine de l'affaire, figure l'article 217 du Code pénal allemand, adopté en 2015, et qui prévoit l'interdiction de tout service – commercial ou non – d'aide au suicide, sous peine de sanctions pénales. Cette disposition est rapidement contestée par plusieurs médecins, juristes et associations d'aide au suicide basées en Allemagne et en Suisse.

 

La libre disposition de soi comprend le droit inconditionnel à être suicidé

La Cour conclut donc en premier lieu à l'incompatibilité de cette pénalisation de l'aide au suicide avec le droit fondamental de chaque individu à la libre disposition de soi, puisque ce dernier comprend la liberté de se suicider.

La Cour va cependant plus loin que cette seule dépénalisation : selon les juges, la libre disposition de soi inclut le droit de demander – et d'obtenir – de l'aide d'un tiers pour mettre fin à ses jours.

Il s'agit désormais au Parlement allemand d'adopter une loi organisant une telle aide au suicide. La Cour insiste cependant sur le fait qu'un tel droit à obtenir de l'aide pour mettre fin à sa propre vie doit être reconnu de manière large, et ne peut par exemple être limité aux cas de maladie grave ou incurable, ou aux seules personnes âgées : « au contraire, ce droit est garanti à tous les stades de l'existence d'une personne », y compris pour les personnes jeunes et bien portantes.

Il ne peut donc être exigé que la personne « explique ou justifie sa demande » pour être aidée à se suicider.

 

Pouvoir aider au suicide est un droit fondamental

La Cour reconnaît comme légitime l'objectif de l'Etat visant à éviter que le suicide assisté ne devienne sociétalement reconnu comme une « façon normale de finir sa vie ». Cependant, les actions de l'Etat visant à éviter que des personnes ne demandent la mort par pression sociale (en particulier lorsqu'elles se sentent considérées comme « inutiles ») ne peuvent aller jusqu'à interdire l'aide au suicide, car une telle mesure est disproportionnée.

L'Etat peut encourager les soins palliatifs pour « infléchir la courbe des envies suicidaires », mais ne doit pas pour autant « fuir ses responsabilités » en évitant de mettre en place la structure pour l'aide au suicide. La Cour insiste d'ailleurs sur le fait que les soins palliatifs ne constituent pas une solution pour les personnes qui font le choix du suicide.

La Cour va encore plus loin : non seulement il est interdit de porter atteinte au droit des personnes de disposer librement d'elles-mêmes et se suicider, mais en plus et surtout, la Cour considère qu'il faut absolument respecter les « droits fondamentaux des personnes et organisations qui ont l'intention d'apporter une aide au suicide ». Pouvoir aider quelqu'un à se suicider est donc devenu, pour la Cour, un droit fondamental.

La Cour conclut en indiquant qu'aucune personne ne peut être contrainte d'aider autrui à se suicider.

 

L'Allemagne, premier pays à organiser l'aide inconditionnelle au suicide

Cet arrêt constitue un véritable séisme dans le paysage juridique européen – sinon international – relatif à la fin de vie : l'Allemagne deviendrait ainsi le premier pays à organiser l'aide au suicide de manière inconditionnelle. Nonobstant l'état de santé de la personne, la seule condition serait la volonté ferme de mourir.

A titre de comparaison, la Suisse conditionne en pratique le suicide assisté à l'existence d'une maladie incurable, de souffrances intolérables, ou de polypathologies invalidantes liées à l'âge.

La libre disposition de soi et l'autonomie individuelle apparaissent comme les fondements de l'arrêt de la Cour. Une telle argumentation recèle pourtant une contradiction fondamentale dans les termes : comment le droit à l'autonomie individuelle peut-il en effet apparaître comme la justification du droit à obtenir l'aide – et donc à dépendre – d'autrui pour mourir ?

Enfin, il est permis de s'interroger sur les rôles respectifs de la Cour constitutionnelle et du Parlement allemand sur des tels enjeux de vie et de mort. La même question s'est d'ailleurs posée en Italie (voy. Bulletin IEB 30/09/2019) ainsi qu'au Canada (voy. Bulletin IEB 9/2/2015), deux pays où le législateur s'est retrouvé contraint de légaliser certaines formes d'euthanasie.

En considérant que le principe de dignité humaine nécessite de privilégier l'autonomie de la personne par rapport au droit à la vie (pourtant l'un et l'autre inscrits dans la Loi fondamentale allemande), la Cour constitutionnelle laisse une marge de manoeuvre extrêmement étroite au législateur allemand : celui-ci est en effet désormais tenu de mettre en place un système donnant les moyens à chacun de se suicider.

Photo : Hilarmont (creative commons)