Scandale européen de la PMA lié à un donneur porteur d’un gène cancérigène : jusqu’où contrôler les gamètes sans tomber dans l’eugénisme ?
En 2023, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) en Belgique est alertée qu’un donneur danois, porteur d’un gène cancérigène, a permis la naissance d’au moins 67 enfants par fécondation in vitro (FIV) en Europe. À ce jour, 10 cas de cancers ont déjà été diagnostiqués parmi ces enfants. En Belgique, le sperme de ce même donneur a été utilisé par 12 centres de fertilité pour féconder 37 femmes différentes. 54 enfants conçus avec les gamètes de ce donneur ont été recensés à ce stade en Belgique, chacun d’entre eux étant donc potentiellement porteur du gène cancérigène.
Le recours au don de gamètes: une pratique anodine ?
L’affaire a été découverte au Danemark en 2023 lorsque deux enfants issus de deux familles différentes, et ayant fait appel à un donneur de gamètes, ont été diagnostiqués d’un cancer. Après des recherches qui ont permis de remonter jusqu’à la banque de sperme danoise, The European Sperm Bank, il est apparu que le sperme venait d’un donneur unique, lui-même porteur d’une variante du gène TP53, associée au syndrome de Li-Graumeni. Il s’agit d’un syndrome très rare qui favorise la survenue de cancers précoces.
En Belgique, au moins 54 enfants ont été conçus par FIV avec les gamètes de ce même donneur entre 2008 et 2015. Pourtant, dès 2007, la Belgique adoptait une loi pour encadrer le don de gamètes et limitait à six le nombre de femmes pouvant bénéficier des gamètes d’un même donneur (Art.55). Il fallut toutefois attendre le 1er janvier 2024 pour que soit mise sur pied une base de données nationale (Fertidata) permettant de centraliser et de suivre les dons de sperme en Belgique. Cette base de données doit permettre à l’avenir de limiter effectivement l’utilisation des gamètes d’un même donneur, ce qui n’était pas le cas avant 2024. A ce jour l’AFMPS ne sait pas combien de fois la règle de 6 femmes pour un donneur a été enfreinte entre 2007 et 2024. Il pourrait donc y avoir davantage que 67 enfants concernés par la transmission du gène pathologique du donneur en question. Par ailleurs, dans la mesure où plusieurs enfants au sein d’une même famille sont souvent conçus avec le sperme d'un même donneur, il est probable que cette mutation du gène TP53 touche plusieurs enfants de la même famille.
Recours au don de sperme: porte ouverte à l’eugénisme ?
En Belgique comme au Danemark, les donneurs doivent se soumettre à une série d’examens médicaux pour vérifier qu’ils ne sont pas porteurs des maladies génétiques les plus courantes. Le donneur en question est passé par The European Sperm Bank, un centre privé basé à Copenhague, qui exporte les gamètes dans toute l’Europe. Cependant, au moment du don en 2008, on ne connaissait pas le lien entre cette caractéristique génétique présente chez le donneur et le risque de cancer. Le lien a été effectué ultérieurement grâce aux recherches du Dr Edwige Kasper, biologiste à l'hôpital universitaire de Rouen en France.
Dans ce contexte, les progrès de la génétique et le développement des dépistages font désormais apparaitre un risque?: celui de multiplier les tests génétiques sur les donneurs pour éviter, à l’avenir, de transmettre des maladies. Si l’objectif d’avoir des enfants en bonne santé est compréhensible, les moyens utilisés soulèvent de graves questions éthiques. En effet, à travers la sélection toujours plus poussée des gamètes des donneurs ou le tri des embryons pour évincer ceux qui sont porteurs de gènes problématiques, la procréation artificielle favorise une forme d’eugénisme libéral au nom de la bienfaisance à l’égard des enfants ainsi conçus. Apparaît par ailleurs progressivement le risque que, pour éviter tout risque de transmission génétique d’une maladie grave, la procréation artificielle soit bientôt encouragée à grande échelle, au détriment de la procréation naturelle, y compris pour les couples ne rencontrant pas de problème à concevoir naturellement.
Le risque de consanguinité : une autre facette du don de gamètes ?
La banque de sperme danoise d’où est issu le donneur s'est fixé une limite d’un enfant pour 12 familles, dans la limite de de 75 enfants issus d’un même donneur au niveau mondial. Toutefois, puisqu’il n’existe pas d’échange de données entre les centres de FIV à travers le monde, il est possible que les échantillons d’un même donneur soient utilisés pour six familles belges et douze familles danoises (le Danemark étant le plus gros fournisseur de gamètes en Belgique).
Cette utilisation très large du sperme d’un même donneur dans de nombreux pays pose deux grands problèmes. D’une part, cela peut conduire, comme c’est le cas dans l’affaire en question, à répandre de façon très importante une maladie génétique rare et ce, au niveau international.
D’autre part, à l’échelle d’un pays, cette utilisation massive des gamètes d’un même donneur peut aussi poser des problèmes de consanguinité. En Belgique, le recours important au don de gamètes ainsi que l’anonymat des donneurs et l’absence de registre national jusqu’à 2024 rendent ce risque bien réel. Conscients des problèmes à la fois médicaux mais aussi psychologiques causés par l’anonymat des donneurs de gamètes, des parlementaires belges plaident pour créer un Institut pour la conservation et la gestion des données relatives aux donneurs (ICGD). Une proposition de loi est en cours d’examen à ce sujet.
La création d’un cadre légal européen pourra permettre de limiter le nombre d’enfants conçus avec le sperme d’un même donneur mais ne fera que limiter le risque de transmettre une maladie sans l’effacer. Le Dr Edwige Kasper pointe aussi l’impact psychologique sur les enfants ainsi conçus qui se découvrent parfois dotés d’une multitude de demi-frères ou sœurs biologiques au sein d’un même pays voire à travers le monde.
Sources:
RTBF (30/05/2025)
RFI (05/06/2025)
The Guardian (24/05/2025)