La naissance d’enfants trisomiques augmente-t-elle « les souffrances du monde » ?

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Début de vie / Eugénisme Actualités Temps de lecture : 3 min.

 Imprimer

Le 9 mai dernier, Richard Dawkins, biologiste émérite d'Oxford, déclarait sur RTE Radio qu'avoir un enfant trisomique augmentait « les souffrances du monde », et que, dans ces conditions, l'avorter était un choix “plus avisé et prudent”. Face au présentateur Brendan O'Connor, père d'un enfant trisomique, il expliquait que « vous augmenteriez probablement davantage la quantité de bonheur dans le monde en ayant un autre enfant à la place ». Il ajoute que cela ne s'applique pas uniquement à la trisomie 21, mais à toutes les maladies gravement handicapantes que l'on peut détecter tôt à l'aide d'un diagnostic prénatal. 

De nombreux bébés trisomiques sont avortés chaque année au moment de la détection de leur handicap in utero (cf. dossier IEB sur le dépistage prénatal). On oublie souvent que les personnes trisomiques, si elles ne sont pas toujours capables d'occuper un emploi rémunéré, sont tout à fait aptes à la vie collective, qui offre une grande diversité de tâches permettant à l'individu de contribuer de manière significative à la communauté. De facto, très peu de personnes trisomiques sont gravement handicapées mentalement et certaines sont même capables de mener une vie indépendante après un certain nombre d'années. 

Pour Richard Dawkins, il s'agit ici d'affirmer que les personnes atteintes de trisomie souffrent et font souffrir les autres. Si les difficultés font en effet partie du handicap, peu de personnes élevant un enfant trisomique partagent toutefois cette vision sombre, focalisée sur les difficultés liées au handicap.  

Diverses études se sont intéressées au bonheur et au bien-être des enfants trisomiques et de leur famille, afin d'analyser la manière dont s'articulent handicap et épanouissement. 

D'après une étude menée en 2011 portant sur 284 enfants trisomiques âgés de plus de 12 ans, il ressort que les enfants trisomiques vivent très majoritairement une vie heureuse. L'étude montre ainsi que 99% de ces enfants sont heureux dans la vie, que 97% aiment la personne qu'ils sont, et 96% ce à quoi ils ressemblent. Ils sont également 99% à exprimer aimer leur famille, 97% à aimer leurs frères et soeurs. De surcroît, 86% d'entre eux considèrent qu'ils peuvent se faire facilement des amis. Ceux pour qui cela est difficile vivent pour la plupart dans des situations de vie isolées. Très peu expriment de la tristesse à propos de leur vie. Ainsi, la plupart des personnes interrogées indiquent mener une vie heureuse et épanouissante. 

Les enfants trisomiques influenceraient même positivement l'épanouissement de leur famille, selon une troisième enquête menée par ce groupe de chercheurs, portant sur 822 familles d'enfants trisomiques. Il ressort de ce panel que 96% des frères et soeurs affirment éprouver de l'affection pour l'enfant trisomique et que 94% des frères et soeurs plus âgés expriment même un sentiment de fierté. Ils sont moins de 10% à se sentir embarrassés de cette situation et moins de 5% à exprimer le désir de l'échanger contre un autre frère ou soeur. De plus, 88% ont le sentiment d'être devenus de meilleures personnes au contact de leur frère ou soeur trisomique et 90% ont prévu de rester impliqués dans sa vie une fois devenu adulte. La majorité d'entre eux décrit d'ailleurs leur relation comme positive et stimulante. 

En outre, force est de constater que les enfants trisomiques, comme les autres enfants, créeraient un lien affectif fort avec leurs parents, ainsi qu'il ressort d'une troisième étude concernant 2 044 parents d'enfants trisomiques. L'enquête rapporte que 99% aiment leur enfant, 97% sont fiers de lui, 79% considèrent leur regard sur la vie plus positif grâce à lui. Seulement 5% déclarent se sentir embarrassés par eux et 4% regrettent de l'avoir pour enfant. 95% des parents indiquent que leur enfant entretient de bonnes relations avec ses frères et soeurs non trisomiques. 

Ainsi, s'il est certes difficile de se retrouver confronté au handicap, cela signifie-t-il pour autant que la vie de ces personnes n'apporte que partiellement du bonheur ou qu'elle soit considérée au quotidien comme une vie présentant des formes de souffrance ? 

L'adoption d'une telle perspective vis-à-vis des personnes porteuses d'un handicap s'avère ainsi non seulement non conforme à la réalité, mais également dangereuse, dans la mesure où cela risque de blesser ces personnes, mais également de créer de la peur voire de la haine envers les personnes trisomiques et leurs familles dans la société. 

Le discours de Dawkins est empreint d'un certain évolutionnisme social qui encourage à la sélection des individus dès avant leur naissance, ou, en d'autres termes, à une nouvelle forme d'eugénisme. Il présente la société comme essentiellement utilitariste et focalisée sur l'autonomie et la performance, au sein de laquelle le handicap serait considéré comme indésirable. En mettant en avant l'idée selon laquelle il convient de privilégier la naissance d'un enfant « normal » face à celle d'un enfant handicapé, Dawkins justifie la possibilité d'établir un recours systématique à l'avortement en cas de handicap. Pourtant, à travers l'idée de dignité intrinsèque à la personne humaine, un individu n'acquiert pas sa dignité du fait de sa conformité à un modèle préétabli, mais simplement en tant qu'il est lui-mêm

Brian G. Skotko, Susan P. Levine, et Richard Goldstein, “Self-Perceptions from People with Down Syndrome”, American Journal of Medical Genetics Part A, octobre 2011, 155A(10):2335–2369

Brian G. Skotko, Susan P. Levine, et Richard Goldstein, “Having a Brother or Sister with Down Syndrome: Perspectives from Siblings”, American Journal of Medical Genetics Part A, octobre 2011, 155A(10):2335–2369

Brian G. Skotko, Susan P. Levine, et Richard Goldstein, “Having a Son or Daughter with Down Syndrome: Perspectives from Mothers and Fathers”, American Journal of Medical Genetics Part A, octobre 2011, 155A(10):2335–2369e.